À l’approche de la commémoration universelle des défunts, que l’Église orthodoxe célébrera ce samedi, nous reproduisons ci-dessous la récente interview du métropolite de Kiev Onuphre au sujet de l’attitude de l’Église orthodoxe envers la mort, l’euthanasie, la crémation et les funérailles à distance.
Dans toutes tes actions souviens-toi de ta fin, et tu ne pécheras jamais ». Ces paroles du livre vétéro-testamentaire du Siracide (7,39) sont toujours actuelles. Du point de vue chrétien, la mémoire de la mort n’est pas une peur dictée par la panique, mais un regard pénitentiel sur sa propre vie avec l’espoir dans la miséricorde divine. Pourquoi de nombreuses personnes sont-elles effrayées à la simple idée de leur fin ? Quelle attitude adopter envers l’euthanasie, la crémation et les offices des funérailles célébrées à distance ? Comment vivre la mort d’un proche ? À toutes ces questions, et encore d’autres, S.B. le métropolite de Kiev et de toute l’Ukraine a répondu au rédacteur en chef du journal « Tserkovnaya pravoslavnaya gazeta.
– Votre Béatitude, comment expliquer du point de vue spirituel ce qu’est la mort ?
– L’attitude chrétienne devant la mort devient compréhensible lorsque l’on saisit ce qu’est la vie humaine et ce que représente l’homme. Par la providence divine, nous sommes créés pour l’éternité, aussi la mort est pour nous contre-nature. Si nos ancêtres, au paradis, n’avaient pas transgressé les commandements divins, nous vivrions éternellement. Après le péché originel, la nature humaine est devenue mortelle. La mort est la conséquence de l’éloignement de Dieu.
– Il en ressort que par sa chute dans le péché, l’homme a attiré sur lui un si terrible châtiment ?
– Il en est ainsi en partie. Mais si l’on regarde les choses plus profondément, la mort n’est pas autant un châtiment qu’un remède nécessaire. En effet, si l’humanité, se trouvant dans une situation de chute, était restée immortelle, elle se serait de plus en plus dégradée spirituellement. Et il en aurait résulté sa transformation en une société d’êtres semblables aux démons. Pour cette raison, le Seigneur miséricordieux a limité la durée de notre vie, donnant à chacun la possibilité de manifester sa volonté dans les conditions d’une lutte intérieure entre le bien et le mal. Et lorsque commencera la résurrection universelle, il sera donné à chaque âme un corps nouveau, non exposé au péché, à la corruption et à la mort. Avec ce corps immortel, les justes entreront au paradis, tandis que les pécheurs iront en enfer. Dans cet état, l’homme demeurera dans l’éternité.
– Pourquoi l’incroyant a-t-il une autre attitude envers la mort que le croyant ?
– Si l’homme ne pense pas à Dieu, il s’efforce de se défaire de la pensée de sa mort. Et lorsqu’il voit la mort des autres, il est pris d’effroi dans la mesure où il comprend que sa vie se terminera de la même façon. Pour l’incroyant, tout ce à quoi il a aspiré et pour quoi il a peiné, sera fini. Mais une telle âme, malgré tout, ressent qu’avec la venue de la mort s’ouvrent les portes de l’éternité. Chacun recevra un destin selon ses œuvres : « Celui qui sème pour sa chair moissonnera de la chair la corruption; mais celui qui sème pour l’Esprit moissonnera de l’Esprit la vie éternelle » (Gal. 6,8). Aussi, pour nous, croyants, il est très important de comprendre que la mémoire de la mort met tout à sa place. Dans ce cas, ce qui est le plus important et ce qui est moins important, ce qui est primordial et ce qui n’a pas d’importance, devient très clair. Après la mort, beaucoup de choses deviennent insignifiantes alors qu’elles semblaient, dans la vie terrestre, très importantes ou fortement désirées.
– Lors de chaque Liturgie, nous prions pour une fin « sans douleur, sans honte et paisible ». Quelle en est la raison ?
– La mort est l’examen spirituel le plus important pour l’homme. En effet, nous connaissons des cas lorsqu’un homme juste, au dernier moment de sa vie, le plus souvent par pusillanimité, reniait Dieu, et, au contraire, un pécheur, prenant profondément conscience de son état, faisait pénitence et était rendu digne de la grande miséricorde de Dieu. À titre d’exemple, on peut citer les quarante martyrs de Sébaste ou le repentir du bon larron. En priant pour une fin sans honte, nous demandons à Dieu de nous donner la possibilité de se préparer à la mort et de nous renforcer spirituellement à ce dernier et plus important moment de la vie terrestre, afin de passer à l’éternité dans la paix avec Dieu et le prochain.
– En regardant la mort d’un proche, nombreux sont ceux qui s’affligent. Comment consoler de telles personnes ?
– Le saint apôtre Paul répond à cette question : « Nous ne voulons pas, frères, que vous soyez dans l’ignorance au sujet de ceux qui dorment, afin que vous ne vous affligiez pas comme les autres qui n’ont point d’espérance » (I Thess. 4,13). Bien sûr, nous sommes affligés pour nos proches, lorsqu’ils partent vers l’éternité. Mais une telle affliction ne doit pas être désespérée (comme une perte irrémédiable). La mort, n’est qu’une séparation temporaire d’avec nos proches. Et si nous sommes rendus dignes de nous trouver au Royaume céleste, alors nous nous y rencontrerons tous. Dans ce cas, personne et rien ne pourrons nous séparer. Pour cette raison, notre douleur au sujet de la séparation doit se transformer en un labeur spirituel fervent : il faut ardemment préparer son âme au Royaume Céleste et accomplir une prière intense pour le pardon des péchés du défunt, afin qu’il soit reçu par Dieu.
– Afin de ménager le mourant, les médecins conseillent parfois de lui dissimuler la vérité sur son état de santé. Cela est-il justifié d’un point de vue spirituel ?
– Non, assurément. On ne doit pas dissimuler une telle information : la dernière période de la vie est la plus décisive. Il est nécessaire, avec le maximum de tact, de communiquer au mourant que sa fin est proche, de le soutenir spirituellement et de lui suggérer quelles prières il faut lire. Il ne faut pas oublier que le sens de la vie est la préparation à l’éternité, la rencontre avec Dieu. Il est extrêmement important que l’homme se prépare spirituellement au passage dans l’autre monde. En cas d’accord du malade, il convient d’inviter un prêtre pour le confesser et lui donner la sainte Communion.
– On sait que l’Église est catégoriquement opposée à l’euthanasie. Dans les pays où le « droit à la mort » est autorisé par la loi, les médecins proposent de tels « services » à ceux qui sont incurables, à leur demande. Il arrive que le malade souffre gravement pendant longtemps, qu’il ne puisse mourir, et les analgésiques n’aident pas. Comment aider un tel homme ?
– Seul le Seigneur peut disposer de la vie et de la mort de l’homme (cf. Jn 12,10). La soi-disant « euthanasie » n’est rien d’autre que la transgression du commandement divin « Tu ne tueras pas » (Exode 20,13). Pour ce qui concerne la demande du malade (pour une mort précipitée), elle est souvent provoquée par l’état maladif de sa conscience, la pusillanimité, le manque ou l’absence de foi. Si nous souhaitons vraiment le bien d’un tel homme, il est nécessaire de le convaincre d’achever chrétiennement son chemin terrestre. Dans de tels cas, l’Église peut s’adresser à Dieu avec une prière particulière pour celui qui souffre : « Délivre ton serviteur de cette maladie insupportable et des affections amères qui le tiennent, et donne-lui le repos là où demeurent les esprits des justes» (Euchologe, prière pour les grands malades). Il est important de rappeler que la maladie prolongée du mourant est une croix spirituelle pour ses proches. Ils sont appelés à s’occuper du malade avec patience, humilité et amour. Ces labeurs doivent être considérés comme ayant une valeur spirituelle, selon les paroles du Sauveur : «Ce que vous avez fait à ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait» (Mt 25, 40).
– On utilise de nos jours différentes technologies de réanimation, qui donnent la possibilité de soutenir des fonctions importantes vitales pendant une période prolongée. Quelle est l’attitude de l’Église envers une prolongation artificielle de l’existence d’une personne gravement malade ?
– Naturellement, on veut toujours retarder au maximum le moment du trépas d’un parent ou un proche mourant. Nous devons aspirer à faire tout ce qui est possible afin de prolonger la vie d’un malade, mais il faut cependant se rappeler cela : un tel retardement ne prolonge que momentanément ses souffrances. Les moyens médicaux ne peuvent pas toujours faire revenir à la vie active ou consciente. Aussi, en prolongeant la vie du malade, nous devons nous efforcer de soutenir spirituellement la personne, et d’inviter le prêtre pour le dernier adieu, entourer le malade de sa propre chaleur et de le remettre avec amour dans les mains de Dieu.
– Ces derniers temps, au lieu de procéder à l’inhumation, on procède souvent à la crémation. À quel point est-elle permise dans les circonstances actuelles ?
– Nous ne reconnaissons pas la crémation, étant donné qu’elle n’est pas approuvée par la Sainte Écriture. Depuis les temps anciens, la sainte Église a accompli l’inhumation, avec la prière, des corps des chrétiens défunts. Le corps était ou bien inhumé ou encore déposé dans des tombeaux et des grottes. Les chrétiens savent que le jour de la résurrection universelle, la terre rejettera les corps des défunts (cf. Isaïe 26,19) et que ce qui a été semé dans la corruption ressuscitera incorruptible (cf. I Cor. 15,42). Nous avons l’espoir que le jour de la résurrection universelle, le Seigneur Dieu nous ressuscitera nous également pour la vie éternelle. En outre, l’Église considère le corps du chrétien comme le temple de Dieu (cf. I Cor. 3,16). Aussi, l’enterrement est effectué avec le respect dû au défunt, dans la prière. En même temps, l’Église orthodoxe ne prive pas de commémoration liturgique ceux des chrétiens dont le corps pour différentes raisons, est resté au fond des eaux ou sur le champ de bataille, a été victime d’un incendie, est devenu la nourriture des animaux, ou encore a disparu (en raison de tremblements de terre ou autres catastrophes). Nous croyons que Dieu peut ressusciter n’importe quel corps victime de tout élément (cf. Apoc. 20,13).
– Peut-on célébrer l’office des funérailles à distance ?
– Ce type de funérailles a été largement répandu durant le siècle passé, au temps des persécutions contre l’Église et de la fermeture des églises, et aussi en raison du manque de prêtres. On ne peut considérer l’enterrement à distance comme conforme à la Tradition de l’Église. Il ne peut être justifié que dans les cas où les parents du défunt n’ont pas d’autre possibilité de participer à l’enterrement d’un chrétien qui est mort sur le champ de bataille, ou a été victime d’une catastrophe aérienne ou d’autres circonstances extraordinaires. Il est important que les pasteurs de l’Église se rappellent cela : pour beaucoup de gens qui n’ont pas reçu l’éducation chrétienne nécessaire, la participation à la prière commune lors de l’enterrement peut être la première expérience significative dans la vie ecclésiale et le premier contact avec la réalité de la vie spirituelle.
Sursa: orthodoxie.com